Privilège, capacité d'agir désertion sabotage et logiciel libre

English below:
J’aimerais rapporter ici une conversation que nous avons démarré avec @lalejand au sujet de l’image que les engagements des petites singularités amènent à l’OFFDEM, et la manière dont ils peuvent éventuellement engager ou décourager la participation.

Il semble que les questions engageant politique et technologies soient perçues très différemment par les personnes utilisatrices ou par les personnes développant des logiciels libres. Les petites singularités ont souvent été confrontées dans les milieux du logiciel libre à des reproches/accusations de prendre des positions activistes qui ne relèveraient pas du domaine du logiciel libre. Mon sentiment est pourtant différent, l’aliénation organisée par les outils informatique fait partie d’un spectre politique de contrôle capitaliste tout comme la domination financière ayant entre autre pour conséquence les désastres écologiques.
Lorsque j’échange avec des personnes qui sont plutôt utilisatrices, pour expliquer ce qu’est le logiciel libre en général la question politique est la première chose que mon interlocuteur pose, vient ensuite souvent malheureusement un sentiment d’impuissance, et finalement quelque chose du genre “peux-tu me dire comment je pourrais changer ma propre pratique numérique” à quoi je suis évidemment obligée de répondre “je peux t’indiquer quelques outils, mais si tu veux changer radicalement, il faudra que tu engage avec toi les groupes avec lesquels tu échanges, travailles, etc… si tu veux on peut prendre le temps d’y réfléchir ensemble” le plus souvent après quelques recommandations d’outils, la discussion s’arrête là mais pas toujours, et quelques projets ont émergé ainsi.

Bref le sentiment d’impuissance face à la domination du capitalisme de surveillance est approché différemment selon le niveau de connaissance des outils numériques, mais il reste omniprésent, néanmoins les enjeux politiques ou les manières de lutter ne sont pas discutées transversalement.

Nous vivons une période où les engagements se radicalisent tant du côté des personnes plus favorisées : scientifiques, consultants, informaticiens ou cadres de société qui refusent certaines choses, lancent l’alerte ou bien quittent leur emploi, les groupes des desertheureuses ou VNPS parmi d’autres organise et soutien ces démarches ; tout autant que du côté des activistes : il semble que le sabotage aie pas mal la côte – en témoigne le mouvement entre autres les soulèvements de la terre ou encore les destruction d’antennes 5g. Ces actions ont un effet très limité et engagent un risque important pour celles et ceux qui les accomplissent, pour un effet souvent dérisoire, dans le cas des sabotages, les réparations sont le plus souvent immédiates et les frais couverts par les assurances, alors que les auteurs risquent la prison, et en tous cas d’importants frais judiciaires. @XavCC a par ailleurs dans un texte abordé la question du privilège dans les désistements qui reçoivent une forte couverture médiatique leur arbre cachant une forêt de poursuite des exactions.

Confrontées régulièrement à des personnes qui nous parlaient de sabotage, les petites singularités ont essayé d’aborder la question lors de la résidence THX en 2022 qui mènera à la publication de présents suspendus. nous avons voulu ouvrir des imaginaires de possibles qui incluent les différents mouvements de résistance. Notre propos vise un dialogue transformateur, nous souhaiterions voir s’établir un mouvement d’empuissancement en refus du capitalisme financier et technologique.

J’aimerais que nous consacrions un temps à l’OFFDEM pour aborder ces questions nous pourrions convier les participants aux reprises des savoirs à VNPS aux desertheureuses des developeurs de logiciels libres, pour nous poser la question du privilège de ces positions et de nos capacités transformatrices dans le système actuel.


I’d like to report here on a conversation we started with @ lalejand about the image that small singularity engagements bring to OFFDEM, and how they can potentially engage or discourage participation.

It seems that issues involving politics and technology are perceived very differently by people using or developing free software. The small singularities have often been confronted in free software circles with reproaches/accusations of taking activist positions that would not fall under the domain of free software. My feeling is however different, the alienation organized by computer tools is part of a political spectrum of capitalist control as well as financial domination resulting in ecological disasters.
When I exchange with people who are rather users, in order to explain what free software is in general, the political question is the first thing that my interlocutor asks, then unfortunately comes a feeling of powerlessness, and finally something like “can you tell me how I could change my own digital practice” to which I am obviously obliged to answer “I can indicate you some tools, but if you want to change radically, you will have to engage with you the groups with which you exchange, work, etc. . . if you want we can take the time to think about it together”. Most of the time after a few recommendations of tools, the discussion stops there but not always, and some projects have emerged this way.

In short, the feeling of powerlessness in the face of the domination of surveillance capitalism is approached differently according to the level of knowledge of digital tools, but it remains omnipresent, nevertheless the political stakes or the ways of fighting are not discussed transversally.

We live in a period where commitments are becoming more radical, both on the side of more privileged people: scientists, consultants, computer scientists or company executives who refuse certain things, raise the alarm or leave their jobs, the groups of desertheureuses or VNPS among others organize and support these actions; as well as on the activist side: it seems that sabotage is quite popular – witness the movement among others the earth uprisings or the destruction of 5g antennas. These actions have a very limited effect and involve a high risk for those who carry them out, for an often derisory effect, in the case of sabotage, the repairs are usually immediate and the costs covered by insurance, while the perpetrators risk jail, and in any case significant legal costs. @XavCC has also in a text addressed the question of privilege in withdrawals that receive a lot of media coverage, their tree hiding a forest of continued exactions.

Voir aussi la tribune çà venir des Soulèvements de la Terre face à la menace de dissolution (et leur invitation à signer cette tribune avant publication dans Le Monde (je crois)).

https://framaforms.org/tribune-eco-terrorisme-les-luttes-ecologiques-dans-le-viseur-du-ministere-de-linterieur-1672743664

IMHO that’s the worst part about privilege, being so oblivious that you have it that you do not even notice, even less understand, the situation of distress others are in.

The different profiles you mentioned ignore the political aspect because they are not threatened. Few are, e.g underrepresented communities in software, and often changes can come from there, acting in a way as a warning sign for a broader problem.

I came here from the perspective of learned helplessness, as mentioned in my proposal https://ps.zoethical.org/t/presentation-on-learned-helplessness-fueled-by-bigtech/ because I went through it personally, namely that I did have the technological expertise to understand how G̶̢͈̠̣̓̓̈a̴͖̦̓́̇̒͜ḡ̸̺͇̚̚͝g̵̨̻̺̣̓l̷̞͊̀̿e̴̫̼̳̊ (A̶͈͋l̸̮̔p̵̱̅h̷̲̊à̶̻b̸̰͊o̶̫͊t̸̰̔), F̶̥̈ȧ̶͜k̸̤̋ê̶̦b̸̠̎ơ̴̠ọ̸̍z̷̝̎ (M̷̮̅à̶̤t̶͚͐â̴̯), etc were using my own usage data against me yet felt trapped in their net, again despite my technical knowledge. I believe this is related to the users you mentioned, namely they understand “something” is “wrong” and you are helping them to pinpoint what it is, why it is this way, but as you suggest the actual change must come from them and does require effort. Your willingness to support their effort is extremely precious.

As I mentioned in the other thread the psychological aspect is I believe pretty crucial, namely how we feel about the situation, before and after the transition to a better, according to our value system, solution.

Are we genuinely happier discussing here rather than on e.g Twitter? If so why?

I believe sharing such examples of empowerment supporting the growth of agency, both individually and as a group, as several groups in fact, could help and I believe be safer psychologically also than sabotage which I believe mostly comes from a place of, often understandably, desperation.

Je relis aujourd’hui. La liste des « 250 premiers signataires », et ce que cela donne à discuter et à signifier, plus cette stratégie de tribune à « co-signer » me donne envie d’écrire des pamphlets et aussi de tout passer au cocktail décapant.
Face à l apolitique dominante immonde, la contre-action est plus un poison, révélateur d’un problème bien bien bien profond, qu’un soin ou une aide (en plus d’être un ersatz d’effet de Brandolini, donc rapide à interjeter et très lourd à déboguer)

oui j’avoue ne m’être pas encore décidée à signer car un certain inconfort. Un questionnement de la nécessité de rendre visible une mouvance par le biais de personnalités et de la même manière les personnalités gagnent en visibilité par leur signature…
Oh après tout si je signe comme le nom que m’a légué mon père est en fin d’alphabet on ne me verra pas trop n’est-ce pas.

Et quels degrés de risques face à flic lambda et face au parquet anti-terro, qui instruit les procédures, pour les « 250 premiers signataires » ? Conjointement : qui peut ou ne peut pas signer , cette liste est utile à qui et pourquoi ? etc.

Je connais personnellement des signataires et j’affirme qu’à aucun moment de leur vie iels n’ont eut à se poser ce genre de question et n’ont fait que d’action en faveur de leur propre visibilité à condition de risque minimum, autrement dit jamais rien sauf des tribunes, discours, signatures, (auto)photographies, auto-récit /promotion qui ne sert que leur avancée dans un appareil bien spécifique qui se nourrit et nécessite le fonctionnement actuel dans lequel s’exprime le ministre/ministère de l’intérieur et le parquet et les lois.

Salut à tout⋅e⋅s,

pour rapporter un peu le contexte de la conversation privée originale : le suis le directeur de l’association Scenari. On avait fait une demande de stand commun avec les Chatons au Fosdem. Deux membres de notre communauté, simples utilisateurs du logiciel Scenari, étaient ok pour être volontaires pour tenir le stand au nom de l’asso. Mais la proposition n’a pas été retenue par le Fosdem. Quelqu’un dans le forum Chatons m’avait alors parlé de Offdem et @natacha m’a bien-entendu ouvert les bras :slight_smile: J’en ai parlé à nos deux volontaires étant donné que le niveau d’implication est distinct (il ne s’agit pas simplement de tenir un stand, co-auto-organisation, …). Mais, ayant butiné un peu dans l’univers Offdem, il⋅elle⋅s ne se sont pas senti⋅e⋅s à l’aide avec l’ancrage militant.

Je ne sais pas concrètement ce qui les a refroidi, mais j’imagine que par exemple la place faite à la lutte contre le “capitalisme de surveillance” dans le manifeste, ou bien des contenus à propos de sabotages dans le forum, aient pu les faire se sentir trop décalé⋅e⋅s, étant des concepts peut-être trop radicaux pour eux⋅elles, voire qui les effraient un peu.

Je pense que c’est juste une question de ligne éditoriale. La ligne éditoriale de l’OpenSource Experience (par exemple) et la ligne éditoriale de l’Offdem ne va pas attirer les même publics. Et ce n’est pas un problème j’ai envie de dire. Chacun sa ligne éditoriale et son public.

Après, est-ce qu’un événement comme l’Offdem peut attirer un public pas militant du tout (comme mes deux volontaires), sans pour autant abandonner la composante militante ?
Je ne sais pas, et puis de toutes façons y’a pas forcément besoin d’essayer de le faire. J’ai la sensation que les sujets politiques/militants ont besoin d’être expliqués tranquillement pour des gens pas habitués à ces thématiques.

Dans un style plus lisse j’aime bien la provocation sur la page de FramaSoft qui demande " C’est pas un peu politique ?" puis propose un lien vers Framasoft - Manifeste

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Pour ma part je n’ai jamais vraiment saisi a quel moment on passe du capitalisme tout court au capitalisme de surveillance, faudra m’expliquer.
Pour référence l’entretient avec Aldolfo Kaminiski, chouette article ou CQFD retrace un peu l’histoire des papiers d’identité qui ne sont pas si anciens puisque on les retrace jusqu’au livret d’ouvriers du 19e qui servaient à controler les déplacement des ouvriers.

Adolfo Kaminsky est décédé ce 9 janvier 2023 à l’age de 97 ans il a sauvé bien des vies en déjouant la surveillance des états. Nous lui rendront homage pendant OFFDEM .

Heureusement que des personnes comme lui sont passées à l’action à des moments cruciaux de l’histoire.

D’apres Shoshana Zuboff dans “The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power” cela aurait demarre en 2000 quand G̶̢͈̠̣̓̓̈a̴͖̦̓́̇̒͜ḡ̸̺͇̚̚͝g̵̨̻̺̣̓l̷̞͊̀̿e̴̫̼̳̊, n’ayant reussi par aucune autre maniere a se financer allant mettre clef sous la porte, commence a vendre de le publicite. Le reste n’est “que” du passage a l’echelle (plus de sources differentes, de G̶̢͈̠̣̓̓̈a̴͖̦̓́̇̒͜ḡ̸̺͇̚̚͝g̵̨̻̺̣̓l̷̞͊̀̿e̴̫̼̳̊ on passe a GMail, Maps, etc) et de la copie (F̶̥̈ȧ̶͜k̸̤̋ê̶̦b̸̠̎ơ̴̠ọ̸̍z̷̝̎ maintenant M̷̮̅à̶̤t̶͚͐â̴̯) le modele d’affaire, ou “business model” en Anglais, et donc continue d’inserer de facon toujours plus importante et intime dans nos vies cette captation et utilisation des donnees pour le profit.

Je trouve la thèse de Zubov, si c’est bien celle de son livre, un peu naïve et légère. Car, ne recevant pas de publicité sur l’Internet (si si, il y a moyen), je subis tout de même le dispositif de surveillance. D’autre part, les systèmes de contrôle de populations précèdent largement les supposés problèmes de porte-monnaie de G̶̢͈̠̣̓̓̈a̴͖̦̓́̇̒͜ḡ̸̺͇̚̚͝g̵̨̻̺̣̓l̷̞͊̀̿e̴̫̼̳̊ en 2000.

Le « capitalisme de surveillance » serait plutôt la systèmatisation de la surveillance numérique globale orchestrée par les services secrets États-Uniens par l’intermédiaire des fleurons de l’industrie numérique de leur pays. Mais elle ne tombe pas du ciel : les cartes d’identité et la comptabilité des peuples nous vient en héritage des esclavagistes, puis cinq siècles après de l’administration nazie qui a répandu ce système à toutes les nations occupées – on oublie trop souvent les « apports » du troisième Reich dans notre monde contemporain. Il y a encore une décennie, les anglais n’avaient pas de papiers. Soudain, on devrait nécessiter des traceurs inviolables… Cela n’a pas empêché Jean Charles de Menezes d’être assassiné par la police londonienne pour avoir été « reconnu » par caméra de surveillance. Je ne pense pas que la publicité soit le problème soulevé par le « capitalisme de surveillance ».

Par curiosite et parceque j’ai peut-etre manque quelquechose, avez-vous deja entendu ce terme avant son article de 2015 ?

Oui, bien avant les leaks de Snowden.

Citation ou reference SVP car comme indique je n’ai rien lu sur le sujet avec ce terme precis “surveillance capitalism” avant cela Je trouve cela tres interessant d’un point de vue etimologique de pouvoir remonter plus en amont de ce qui semblait jusqu’a present, pour moi en tous cas, etre le point de depart.

PS: si ca n’etait pas clair l’article de 2015 est Big other: surveillance capitalism and the prospects of an information civilization

C’était Monthly Review | Surveillance Capitalism en juillet 2014. Mais la conjonction de « surveillance » et « capitalisme » est plus ancienne. C’est le genre de terme qui devient « un terme » à force de se répéter.

Merci pour l’article je vais m’empresser de le lire. Je suis deja familier avec Snowden et a mes yeux la plus interessante lecture recentre a cette intersection est Weaponized Interdependence: How Global Economic Networks Shape State Coercion | International Security | MIT Press mais curieux de voir ce qu’il etait deja ecrit en 2014 sur l’aspect “Military Industrial Complex”. Dommage que Zuboff n’est pas pris cela en compte vu les dates mais malgre cela je fais le pari (sans avoir demander ici a @lalejand qui l’a utilise en premier) que quelqu’un utilisant ce terme de nos jours se referre a la definition, surement imparfaite, de Zuboff plutot que Foster/McChesney mais c’est peut-etre dans ma bulle.

J’ai parlé de capitalisme de surveillance juste parce que c’est dans le manifeste Offdem :slight_smile:
Ayant moi-même une définition assez floue du capitalisme de surveillance.

ok comment poursuivre cette conversation afin d’en faire quelquechose d’utilisable pour OFFDEM

Alors, nous le savions depuis longtemps mais depuis 2013 et les leaks de Snowden il n’y a plus d’ambiguité sur les usages des systèmes de surveillance, ils servent l’impunité de l’état et la prise de contrôle des corporations. Par ailleurs on voit clairement les limites humaines et écologiques du modèle économique actuel.

  • La première question est celle du changement, de toute évidence certaines personnes sont en capacité de prendre position publiquement d’autres ne le sont pas la question du privilège est centrale au changement comme le souligne @XavCC

  • Si l’on part du principe généralement accepté que les plus grands criminels ne sont pas les activistes pourquoi est-ce que les mentions de désobeissance civile et de sabotage font peur, comme l’explique @lalejand et dans quelle mesure le sabotage est-il possible d’envisager que les personnes qui contribuent/utilisent le logiciel libre envisagent la question technologique dans ses aspects politiques au delà d’un réformisme confortable.

  • Comment organiser des espaces de réflexion qui associent les personnes les plus vulnérables aux personnes ayant des capacité d’action que ce soit par leur situation sociale, leur capacité technique ou leur compréhension du système en place afin de penser d’autres modalités techniques et sociales. C’est la question que nous souhaitons poser à OFFDEM et pour cela il est primordial de ne pas se voiler la face et de penser la question technique dans ses implications politiques.

Rant

Il me semble impératif d’éliminer de la discussion les concepts accessoires tels que le « capitalisme de surveillance » et se placer dans une compréhension historique plus large. Car lorsqu’on retrace les discours de lutte contre le pouvoir en différents lieux et à différentes époques, on retrouve les mêmes problématiques : il existe des inégalités qui permettent la prise de pouvoir, et le renforcement des inégalités renforce l’assise du pouvoir. Ce n’est pas pour rien que le pouvoir se reproduit par la reproduction du privilège et ce n’est pas non plus un hasard si l’invention intervient en marge de l’exercice du pouvoir. Les ingéniaires et les artistes accompagnent les règnes parce que le pouvoir a besoin d’auz pour ne pas sombrer dans sa propre incapacité à concevoir autre chose que sa propre destruction. Bref, cette thèse étant déjà difficile à accepter pour beaucoup je ne m’étendrai pas là-dessus.

Je veux plutôt m’intéresser à l’articulation des termes du titre : privilège et capacité d’agir ; sabotage et logiciel libre. Je les associe deux par deux car le privilège facilite la capacité d’agir, même s’il ne la détermine pas ; et car le logiciel libre peut être considéré comme une forme de sabotage de l’industrie logicielle : en effet, la valeur du logiciel n’est pas apparue évidente aux débuts de l’industrie informatique – c’est bien pour cela que M̶̰̊á̸̩c̴̦̉r̶̝̕ō̸̟t̶͕̃h̴̼͝é̶̪f̸͕̍t̸͔̿ a pu créer ce marché du logiciel propriétaire indépendamment du matériel. À l’époque, les entreprises informatiques fabriquaient leur matériel et il n’existait aucune entreprise dans ce secteur qui déroge à la règle. C’est là l’invention géniale de la firme de Redmond. Lorsque IBM s’est rendu compte que le logiciel rendait en fait son matériel obsolète par concurrence, il était trop tard. Le génie du logiciel libre est d’avoir anticipé la décorrelation matériel-logiciel et d’avoir su retourner la règle de « propriété automatique de la copie » qu’est le Copyright – il est en effet appliqué par défaut dans le droit États-Unien : dès qu’une personne émet un froufrou dans l’univers, cette personne en détient les droits de reproduction. Ainsi, en se plaçant au sein de ce dispositif d’appropriation automatique du vent et en posant l’assertion de ce droit, l’autaire de logiciel libre dispose de sa capacité de restreindre (ou non) la copie de « sa création » et par là de l’autoriser. Le privilège donne la capacité d’agir, et c’est le don de ce privilège qui effectivement sabote une industrie fondée sur l’exclusivité et la rareté.

Le sabotage – Go canny!, va doucement – est une tactique née de la lutte entre ouvriers et patrons capitalistes, lorsque la méthode de la grève – l’arrêt du travail – fut rendue moins efficace par l’ajustement du rapport de pouvoir entre des ouvriers payés à la semaine, incapables de subvenir à leurs besoin sans ce salaire, alors que les patrons disposaient de stocks suffisants pour écouler leur marchandise sans perdre un centime pendant qu’ils ne payaient plus les ouvriers en grève : ainsi la grève, parfaitement maîtrisée par le capitaliste, devint inopérante. En revanche, le sabotage, qui consiste à ralentir la production, d’une manière ou d’une autre, ou l’empêcher par « la grève des machines » (c’est-à-dire leur mise hors d’usage) a un effet direct sur le porte-monnaie du capitaliste : non seulement la production baisse ou s’interrompt, mais en plus les dégâts occasionnés rognent définitivement les marges de profit. Et c’est cela qu’a fait, à notre époque numérique, le logiciel libre, jusqu’à ce que les capitalistes, toujours ingénieux lorsqu’il s’agit de réduire les coûts et abuser des travaillaires pour extraire du capital, l’embrassent.

Et comment ont-ils fait ? Je perçois deux instruments : le travail bénévole et la gratuité. La gratuité des produits informatiques permet deux choses : premièrement, elle permet une acquisition de clientèle (users) exponentielle et à bas prix ; deuxièmement, et c’est là sans doute son principal aspect capitaliste, elle assure un coût d’entrée sur le marché inaccessible à la concurrence qui dispose d’un moindre capital. C’est tout simple à comprendre. Si je fournis un programme gratuitement, je le fais donc à perte : il m’a coûté du travail, de la main d’oeuvre à la production, la diffusion et la maintenance. Il n’est donc pas gratuit. Son coût est supporté par d’autres activités qui peuvent n’avoir rien du tout de commun avec le programme – des opérations financières, immobilières, ou d’autres activités dans d’autres secteurs de l’économie, comme savent le faire si bien les multinationales, y compris les jeux d’évasion fiscale qui consistent à attribuer des bénéfices à des entités établies dans des paradis fiscaux et accumuler des pertes dans des pays où les taxes sont imposantes mais qui sont prêts à soutenir leurs industries déficitaires. Ainsi, plus je suis gros, plus j’ai de cash flow à disposition, moins je paie d’impôts et plus je suis apte à vendre mes produits à prix zéro. Moins cher que zéro, cela propose un marché très difficile d’accès : il faudrait payer ses usageaires pour qu’als utilisent mon programme ! Et cela nous mène au travail bénévole. Car si les multinationales paient des travaillaires, elles ne sauraient trop leur donner sans quoi leurs marges en pâtiraient. Mais comme elles ne paient pas d’impôts, elles peuvent redorer leur image en « sponsorisant » des événements qui leur permettent de découvrir les talents, les acquérir, les conserver, ou mieux : en disposer gratuitement par amour du travail bien fait, du défi intellectuel, de la passion créatrice propre auz programmaires de logiciel libre.

Et pourquoi tout cela fonctionne-t-il ? Principalement parce que les programmaires, contrairement aux ouvriaires, sont largement privilégiæs. C’est notamment pour cela qu’il existe peu ou prou de syndicalisme dans l’informatique et notamment dans l’informatique dite « libre » – rappelez-vous, ce sont les usageaires qui sont libres, pas les programmaires, puisqu’on en est à en rire. La demande est telle que la défense des intérêts de la classe passent largement au-dessus des écrans professionnels, même s’ils sont entassés par trois ou neuf. Il y a aussi que les profils intellectuels et psychologiques des programmaires en rendent la majorité imperméables aux questions politiques ou à la rebellion : le confort a vite fait de faire le bourgeois et les bruits dehors sont vite coupés par le double vitrage. Alors qui sont ces hackers qui viennent à OFFDEM, qui justement n’ont pas cette frilosité à questionner le système, même si questionner nos privilèges reste encore un point en l’air ?

Plus avant, quelles formes peut prendre le sabotage – considéré comme tactique anticapitaliste de rétablissement des rapports de pouvoir – à l’ère de la redondance des services, des sauvegardes et des déploiements par conteneurs…